Dans la grande série « les villages des mines d'Imini »
Bou Tazoult, village ouvrier.
photo 1: vue générale de Bou Tazoult photographe BERTRAND Marrakech 1962
Une belle « forêt » encore naissante agrémente le paysage.
Avertissement de l'auteur : la jeunesse a l'excuse de la jeunesse, elle amplifie les impressions, transforme les souvenirs, exalte les faits. Que le lecteur lui pardonne les erreurs « poétiques » et les corrige par ses commentaires bienvenus.
Une promesse est une promesse, je la tiens aujourd'hui. Certains souhaitaient lire au plus vite la suite de mes précédents articles. J'y avais numéroté les maisons à ma façon, pour que chacun puisse repérer la sienne ou les siennes, tant il est vrai que beaucoup d'entre nous ont changé de domicile pour cause d'agrandissement de la famille.
Mais la vie réserve des surprises. Vous savez que, depuis longtemps, je suis un « chasseur de têtes » iminiennes. J'obtiens, grâce à mon entêtement et à des contacts privilégiés (que je tairais ici), des résultats dont je fais profiter l'ensemble de la communauté iminienne. Il n'y a pas d'ostracisme, chacun a droit à sa part s'il est équipé d'internet, et s'il ne la refuse pas. Ca n'est pas encore arrivé, mais tous les goûts sont dans la nature. Chacun a ses raisons !
Pour ce reportage portant sur l'urbanisme des mines d'Imini, des surprises viennent d'un document (daté de 1965) retrouvé dans les archives de mon père, et surtout d'une collection de clichés datant de l'année 1962 tirés de celles de l'ancien directeur d'exploitation André GORICHON. Comme je le faisais remarquer à Olivier GORICHON, qui les met à notre disposition aimablement, nous possédons tous des trésors enfouis dans nos albums, classeurs, placards, greniers, caves, laissés de côté. Nous en avons connaissance, … ou pas. Parfois ce sont des documents familiaux, d'autres fois professionnels, ou touristiques. Mais ils ont tous leur intérêt pour tisser ou retisser la toile entre nous : les particularités de l'un servent aux autres pour recoudre leur propre histoire. Faisons abstraction de nos différences, de notre timidité, de notre pudeur, mettons en commun ces pièces qui sont le MUSÉE de notre existence. Ce musée a étéévoqué déjà dans des articles précédents pour être constitué avec les matériaux et matériels réformés de la mine, mais celui-ci, beaucoup plus virtuel et mémoriel, est facile à mettre en place, si nous acceptons de « transmettre ou prêter » ce que nous possédons dans nos bibliothèques, dans nos armoires, dans notre mémoire. Même des photos de familles peuvent éveiller en nous des souvenirs ou nous donner des renseignements sur les modes de vie. Pierrette TEYSSIER, en son temps, avait manifesté la volonté de nous transmettre la collection inestimable Noir et Blanc de son mari Yvon.
Les surprises survenues depuis peu m'ont obligéà corriger mon écriture, à modifier mon exposé sur l'urbanisme des mines d'Imini, urbanisme dont je suis un fervent admirateur, mais qui, pour moi, n'est qu'un puits de questionnements, n'en connaissant ni l'instigateur, ni le(s) concepteur(s), ni le(s) bâtisseur(s). Ici, je m'appuie sur le plan officiel de l'implantation datant de 1965 (tout y est numéroté officiellement, suivant l'ordre de construction m'avait assuré Jean-Marie DECAILLOZ), et j'illustrerai à l'aide de ces plans dressés par les géomètres et dessinateurs de la mine, agrémentés de photos tirées de la collection TRAMOY (photographe PIGNEUX Marrakech 1954) et de la collection GORICHON (photographe BERTRAND Marrakech), ainsi que d'autres « piochées » sur des blogs. Note de l'auteur : je me suis permis cette liberté au nom de l'intérêt de tous les lecteurs, y compris des auteurs de ces photos, que je remercie ici.
Une dernière précision : depuis 1965, peu de changements sont intervenus, la grande épopée de construction arrivait à son terme, nous verrons peut-être si d'aucuns viennent me contredire sur ce point. Ce que j'apprécierais.
Aborder les mines de l'Imini nécessite de remettre en mémoire les sites, les noms.
photo 2 : plan de la concession minière en 1965
Cette vue d'ensemble indique les oueds (plus ou moins constants suivant une pluviométrie inégale), les routes et pistes, les limites de la concession minière, les altitudes, … Une mine d'informations dans laquelle les cours d'eau donnent leur nom aux lieux, Tidili, Bou Azzer, Timkkit, Boulgir, … On reconnaît le tracé sinueux des oueds secs, que nous traversions ou longions sur la route reliant Sainte Barbe, ou lors de nos courses dans les villages.
photo 3 : Bou Tazoult, plan du village ouvrier, photo Pigneux Marrakech 1954
Bou Tazoult est le chef lieu des mines, centre des infrastructures techniques, et draine la majorité de la population dans le village marocain d'une part et dans le village européen d'autre part, autour des écoles, du bloc cantine-cinéma-commerces, …
NDLR : curieusement, sur le plan le village ouvrier est intitulé« village n° 1 », tandis que le village européen, que nous verrons plus loin, est intitulé« village n° 0 ».
Cette vue panoramique, prise de la colline de Bou Azzer, embrasse l'essentiel des installations minières avec, de l'avant vers l'arrière, à gauche : la bascule, la laverie, la centrale électrique, les magasins. Sur la droite du pont : les trémies de chargement, le parc à bois, les ateliers. Tout au fond, dans la lumière, on distingue le puits de Tifersine.
Au plus près des services techniques de la mine, dont nous ferons abstraction dans cet exposé, et de l'exploitation proprement dite (la première descenderie), le village des familles d'ouvriers occupe les flancs du jebel, en face de la laverie, et se déploie au pied de la colline de Bou Azzer. Il est l'exemple de toute cité minière typique se voulant source d'égalité parfaite et symbole de solidarité : les logements y sont collés les uns aux autres, strictement identiques, alignés avec harmonie non loin du site du travail quotidien. A l'origine, ils ont été peints avec ce rose joyeux qui caractérise le site d'Imini, mais qui subit au fil du temps l'avilissement du noir minerai.
photo 4 vue panoramique des installations minières et du village ouvrier, cliché Pigneux Marrakech 1954
Les barres d'habitation, doublées dos à dos, sont parfaitement alignées, épousant les pentes dirigées vers les rives de l'oued, arborées de Takaout Beldia et de petits buissons épineux que les ovins viennent brouter, et dans lesquels les enfants viennent jouer. Au premier plan, un îlot de commerces occupe la place centrale, agrémenté d'une galerie les protégeant de la chaleur. Deux autres séries de commerces sont situées plus haut en bout d'une rangée de logements.
En 2020, malgré leur abandon, les bâtiments résistent vaillamment aux intempéries et aux effractions, construits avec soin, avec des matériaux de qualité : les pierres apparaissent entre les plaques d'enduit ciment déchirées. Tout est encore debout, disponible pour de nouvelles familles. Des mineurs ? Qui dit mineur dit extraction, d'où présence de minerai suffisament riche et abondant pour être exploité.
photo 5 vue des commerces vers le village européen, cliché Pigneux Marrakech 1954
Sur la gauche de ce cliché, on devine la constitution du logement ouvrier type, avec une courette précédant deux ou trois pièces d'habitation. Chaque logement adopte le style local, avec une porte cintrée de style islamique. Cette rangée aboutit au minaret de la modeste mosquée, surplombant le centre du village, siège de la salle de prière, de l'école coranique dirigée par un fqih dont les petits élèves étaient effrayés par la badine « caressante » sitôt qu'une erreur était repérée dans la récitation des sourates.
Le gros bâtiment central est celui des commerces sous arcades. Le dos du bâtiment est réservé aux douches « municipales » reconnaissables au tas de bois de chauffage pour la production d'eau chaude : un grand progrès en cette année 1954. Cet établissement devait vraisemblablement avoir un règlement d'utilisation, comme pour les hammams, fixant les horaires répartis entre les femmes et les hommes. Pour les commodités hygiéniques, des édicules servant de toilettes sont répartis en plusieurs points du village.
photo 6 les commerces et la fontaine-lavoir en 2010, cliché Tramoy
Conçu pendant les années 40-50, le plan d'urbanisme ne néglige rien, mettant à disposition des ménages des fontaines-lavoirs pour y prendre l'eau et laver le linge en commun, comme on le voyait naguère dans nos villages européens. Lieu de vie, de rencontres féminines, de bavardages, … et sans doute point de départ de « chikayas ».
photo 7 arcade des commerces en 2010, cliché Tramoy.
photo 8 couloir des arcades en 2010, cliché Tramoy
Au coeur du village la vie se distribue autour des trois galeries de stalles commerciales où les épiceries, légumes, boucheries, bazar, tissus drainent leur clientèle, tandis que la boulangerie et des boucheries ont traversé l'oued, proches de gourbis rassemblés là pour abriter des travailleurs n'appartenant pas au personnel de la SACEM. Cette boulangerie mériterait à coup sûr un exposé sensoriel : on la humait depuis 50 mètres ; attiré par les odeurs de pain cuisant au feu de bois, on accédait au fournil en descendant quelques marches.
photo 9 la ruelle de la boulangerie désertée et envahie d'herbes folles, cliché issu des blogs
photo 10 Si Bousta l'unique commerçant en 2010, cliché Tramoy
Lorsque l'exploitation a cessé, les familles s'en sont allées, le village s'est vidé, ainsi que tous les commerces SAUF UN, qui a résisté jusque dans les années 2010 : Si Bousta, qui servait de bazar et d'épicerie bien fourni. Il assurait le service des villageois lointains, et a eu raison de maintenir son commerce puisque l'exploitation a repris avec des tâcherons. Un temps il a émigré dans l'économat de la cantine, puis est parti installer son commerce à Timkit. Un article lui a été consacré sur le blog précédemment, dans lequel nous racontons nos échanges avec cet homme très sympathique (« 26 mai 2011, Bou Tazoult, le rouge te va si bien ! » et 10 août 2016 « Des iminiens s'installent à Marrakech »)
photo 11 la première école, cliché Pigneux Marrakech, 1954
photo 12 les deux rangées de préfabriqués en 2010, cliché Tramoy
Au village original des années 50 sont venues s'ajouter deux rangées de bâtiments en préfabriqué installés entre celui-ci et l'école de Bou Tazoult. Le groupe scolaire sert de démarcation entre quartier ouvrier et quartier européen. Et c'est logique puisqu'au début il fut le premier bâtiment de scolarité construit, avec une entrée de chaque côté tournée l'une vers le village ouvrier, l'autre vers le village européen. La moitié des classes est dévolue aux enfants marocains, l'autre moitié aux européens, toutes se remplissent vite, les candidats sont nombreux. Sur le cliché de 1954 on voit un ancien camion GMC chargé de minerai, sans doute venant de la bascule et partant pour les lacets du Tichka ou le téléphérique d'Aguelmous. Notons que le château d'eau de Bou Azzer n'existe pas encore. Les plantations vont bon train, les ouvriers s'activent çà et là, et le plateau du tennis a été aplani.
A l'école exercent le directeur Roch-Louis Romano, ainsi que son épouse Anièce, et des maîtres marocains.
photo 13 Mr Romano en exercice, cliché Pigneux Marrakech 1954
Cette école est un tremplin de réussite pour de nombreux élèves, autant filles que garçons, qui ont bénéficié là d'une éducation, d'un enseignement de haut niveau et de l'opportunité d'une ascension sociale rapide. Les témoignages de reconnaissance, reçus par Mr Romano, encore aujourd'hui, viennent de professeurs de faculté, de syndicalistes, de chefs d'entreprise, d'enseignants, d'infirmiers, etc … tou(te)s issu(e)s de cette formation scolaire iminienne.
Pour l'histoire, la mixité est assurée, la fillette au tableau est Fatima El Mekki, tandis qu'un élève plus curieux que les autres lorgne du côté du photographe. Il se reconnaîtra, … et se dénoncera peut-être. Belle harmonie de classe où l'écriture est mise en avant et la discipline imposée. Je peux témoigner que Mr ROMANO a conservé son écriture magnifique, et si nos ministres de l'Education nationale pouvaient s'en inspirer, au lieu de privilégier des méthodes d'apprentissage radicalement désastreuses pour l'orthographe … On nous ferait croire que, maintenant, la moitié des élèves sont dyslexiques. Félicitation aux élèves d'origine marocaine qui ont appris en même temps l'alphabet arabe et l'alphabet latin, avec les langues correspondantes. Leçon à tirer ??
Digression de l'auteur : en 1958-59, j'ai eu le privilège de fréquenter cette école, de me découvrir des amis marocains, en compagnie de Jean-Louis et de Françoise. J'en ai conservé d'excellents principes d'approche inter-ethnique, beaucoup de souvenirs agréables et de relations fructueuses depuis ce CM2, qui perdurent. Il est vrai que d'être issu d'une lignée de mineurs de charbon à la fois du Pas de Calais et de Bourgogne facilite l'adaptation et la camaderie.
La première maison jouxtant cette école est justement le logement de la famille Romano.
Je quitte ce village et cette école en conservant le souvenir des bruits, des cris, des appels, des jeux, des camionnettes de livraison, des cars, des voitures, tous ces sons qui signent l'animation, la vie, l'activité naturelle d'une cité peuplée, de la sortie d'école chahuteuse de bousculades.
Aujourd'hui le silence pose une chape de plomb sur un village entièrement repeint : un décor de cinéma donnant l'illusion qu'un être vivant sortira bientôt d'une maison pour se rendre dans un commerce chercher sa subsistance. Rêve opéré les yeux ouverts, je reste l'oreille aux aguets. Dans le lointain retentit l'aboiement d'un chien, sans doute celui d'un des gardiens du site, qui me rappelle que je suis seul au milieu de ces vestiges d'un autre temps.
En levant le regard vers la droite apparaît le bordj, construit dans le début des années 50 sur la colline surplombant la cantine d'un côté et la laverie de l'autre, qui veille sur la région à 360°.
photo 14 le borj en mauvais état, cliché issu des blogs
Un bataillon de goumiers l'occupait, défilant lors des cérémonies, qui assuraient la sécurité pour prévenir des interventions intempestives voulant mettre en danger l'économie minière lors de la période de contestation du Protectorat. Jacques ZOUDE le nordiste (de France) est l'un de ces jeunes goumiers et resté fidèle à Imini, marqué par le lieu et succombant au charme d'une jeune et jolie iminienne.
Si le bâtiment est massif dans ses pierres, s'écoulant comme une lave sur la pente de la colline, pour opposer ses fortifications aux agresseurs, maintenant la dégradation intérieure laisse supposer sa ruine prochaine. Visiblement le confort n'était pas une priorité tant les locaux paraissent frustes et étriqués. A la guerre comme à la guerre ! Oui, mais … quand même : le rata et la boisson sont le réconfort du soldat.
De là-haut le panorama est magnifique, dominant l'ensemble des villages, de l'exploitation, avec une vue imprenable mettant l'Atlas à portée de main. La route bitumée desservant Bou Tazoult, les installations minières et le chef-lieu minier longe le pied de la colline, en un cordon bordé par le noir manganèse de la laverie, avant de laisser place aux pistes pierreuses desservant le fond de vallée vers l'Assif Tidili.
Aujourd'hui que le plateau de la mine est abandonné, la route d'accession au borj a été modifiée : elle ne part plus de la cantine, mais de l'emplacement de la laverie démontée.
Vous l'avez compris, chers amis lecteurs, qu'il ne manque que l'expression de la vie humaine sur le site de Bou Tazoult. Donnez vie à ce texte en le commentant et en y apportant vos propres documents.
photo 15 le plan du village européen
L'appétit vient en lisant, et ce plan vous fournit les morceaux manquants de l'école et du borj. Et vous offre aussi la découverte du village européen en avant-première.
Suite au prochain numéro..